De l’immense Sibérie aux trois pays baltes. Récit d’un candide émerveillé.

Nous arrivons en gare de Moscou, à trois, avec deux vélos. Samuel et Simon me donnent rendez-vous à la station de Métro ΗAΓOPHAR, me précisant tout de même que cela se prononce « Nagornaya ». Devant mon air un peu sceptique, ils rigolent et me disent que, quand même, j’ai déjà pris le métro dans ma vie ! Et ils filent en vélo, me laissant seul au milieu d’une foule totalement indifférente à mon sort d’européen ne connaissant rien de l’alphabet Cyrillique (qui est, me précisent-ils, assez différent de l’alphabet grec). Je descends dans les entrailles du métro moscovite, lesté de mon sac et de quelques roubles. J’essaie tant bien que mal (plutôt mal à vrai dire…) de demander un plan, qu’une employée du Métro me tend sans explication :

« débrouille-toi avec ça », me dis-je…

Trente minutes plus tard, je ressors victorieux, à l’air libre, dans une toute autre partie de la ville. Evidemment, j’avais rencontré sur mon chemin sous-terrain quelques personnes qui m’avaient aidé, et toutes les stations sont annoncées en russe et en anglais.

Trois minutes plus tard, mes deux fils arrivent sur leurs vélos. Premier moment d’autonomie passé avec succès !

« Maintenant, on va chez notre hôte Warmshower », me disent-ils le plus naturellement du monde. Se repérer dans le Métro, c’est déjà compliqué, mais comment allons-nous faire pour trouver un appartement dans une ville aussi grande que Moscou, sans plan, et sans connexion Internet ??

C’est facile, il y a Maps.me ! Il s’agit donc d’une application, avec laquelle on peut télécharger gratuitement des cartes du monde entier, et l’utiliser en dehors de tout réseau internet, à la condition d’avoir un GPS. Avec cette application, nous ne serons jamais perdus.

Nous arrivons rapidement chez Igor, jeune homme de 26 ans, au onzième étage d’un immeuble, dans un appartement modeste. Il nous offre sa chambre, en nous disant qu’en cette saison, ce n’est pas un problème pour lui de dormir sur le balcon ! Je découvre avec émerveillement et gratitude ce premier contact avec les Warmshowers-users. Ils seront nombreux durant notre voyage. Ce sont souvent des pratiquant de cyclo-randonnée, mais pas toujours, qui nous offrent, sans autre intérêt que celui de la rencontre, une place pour dormir une à quelques nuits, parfois un coin de jardin pour planter la tente ou le plancher du salon ou de leur chambre pour étaler nos tapis de sol, un endroit pour cuisiner, et, comble du bonheur après quelques jours de route, une douche chaude ! Ils nous accueillent, nous laissent les clés et continuent leurs activités. Souvent, nous leur avons proposé de préparer un des repas, occasion pour nous de les remercier et de partager un peu de temps de discussion.

Mais revenons quelques jours en arrière… Arrivé à Omsk, après un voyage un peu compliqué avec mon vélo : dans le train, il faudrait qu’il soit roulant, à condition qu’il y ait de la place, mais dans l’avion, il faut qu’il soit emballé dans un carton ne dépassant pas certaines dimensions assez strictes !… finalement, il n’arrivera pas en même temps que moi, et c’est donc sans vélo que j’arrive à l’aéroport de Omsk, au petit matin. Retrouvailles émues avec mes fils. Il fait froid. Il fait déjà jour depuis longtemps, alors qu’il n’est que 5h00. Nous passons la journée à déambuler dans les rues d’une ville qui me semble grise, triste, qui semble avoir peu changée depuis l’époque soviétique ; mais nous sommes très heureux de nous retrouver et je les écoute me raconter tout ce qu’ils n’ont pas écrit sur ce blog.

En fin de journée, nous prenons le train pour Moscou, le fameux Transsibérien !

Nous avons voyagé en troisième classe (il y en a quatre), parcouru 2700 Kms, en 44h00, nous sommes arrêtés dans 34 gares… Cela donne une idée de l’immensité de la Russie, sachant que nous n’avons voyagé que sur environ un tiers du parcours total. Les wagons eux-mêmes sont très grands, larges, massifs. Nous sommes accueillis sur le quai par Svetlana, une une solide employée de Rossijskie železnye dorogi (Société des chemins de fer de Russie), qui nous assigne nos places et nous indique où mettre les deux vélos. Le ton de sa voix ne souffre aucune discussion. Elle a autorité sur tous les passagers de son wagon et elle est chargée d’organiser la vie à bord. Des voyages aussi longs nécessitent un minimum d’organisation, d’autant qu’ici les trains arrivent et partent toujours à l’heure. C’est d’ailleurs l’heure de Moscou qui fait référence, et en embarquant à Omsk, nous retardons nos montres de quatre heures, que nous rattraperons au fil du voyage et des différents fuseaux horaires. Les wagons sont organisés en compartiments ouverts de six couchettes, avec un long couloir. A un bout règne un samovar, où quiconque peut venir chercher de l’eau bouillante, pour se préparer un thé ; à l’autre bout des toilettes, rudimentaires, mais propres, car entretenus régulièrement par Svetlana… Les gens vont, viennent, discutent par petits groupes, mangent (salamis à l’ail et concombres sont souvent au menu, à toute heure du jour et de la nuit), boivent du thé, jouent aux cartes. Parfois, des musulmans déplient un tapis et font leurs prières à voix basse. Chacun a pris ses aises, en chaussons et vêtements confortables. C’est tout le monde russophone qui semble défiler sous nos yeux. Il y a beaucoup de gens d’Asie centrale. A côté de nous, un groupe de kirghizes qui descendront également à Moscou. Parmi eux, un jeune homme a passé les deux jours à dormir, et ne s’est animé que deux heures avant l’arrivée. Le temps et les distances s’étirent, s’allongent. Dehors, c’est une forêt de bouleaux qui défile sous nous yeux, interminable.

 

Revenons à Moscou. Nous y restons deux jours. C’est une ville grandiose, imposante, qui inspire le respect. Nous déambulant dans les rues, sur la Place Rouge, nous visitons la cathédrale Saint-Basile, église orthodoxe rutilante, nous prenons un chocolat au Café Pouchkine (les garçons avaient en tête la chanson de Bécaud depuis plusieurs mois !) et nous ne sommes pas déçus, nous nous promenons dans un parc le long de la Moscova, nous grimpons voir l’Université, bâtiment imposant de l’époque soviétique, nous flanons dans les jardins du Klemlin, nous prenons un café et faisons quelques courses au célèbre Goum, acronyme de Glavny Ouniversalny Magazin, c’est-à-dire « Magasin principal universel », datant de la fin du 19ième siècle et recouvert d’une immense verrière. Nous passons devant le Bolchoï.

Il reste encore de nombreux souvenirs de la grandeur de la Russie, avec l’aigle à deux têtes, et de l’empire soviétique…

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« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »

Je finis par récupérer mon vélo, qui nous est livré devant l’immeuble d’Igor à 2h00 de la nuit.

Nous reprenons ensuite un train de nuit, direction Saint-Pétersbourg. Il s’agit de la deuxième ville de Russie, ancienne capitale des tsars.

Nous sommes encore accueillis par des hôtes contactés par Warmshower, Vlad et Sacha. La surprise n’est plus tout à fait la même, mais je reste tout de même très reconnaissant de cet accueil : des crêpes chaudes nous attendent pour notre arrivée !

Cette ville, bien que très vaste aussi, est plus douce que Moscou. Les avenues sont rectilignes, tracées au cordeau, mais l’ensemble est adouci par les innombrables canaux qui s’entrelacent. Cette ville est en effet construite sur des marais et des canaux ont été construits pour les assécher. L’endroit est agréable, et comme nous avons encore gagné en latitude nord, les journées s’allongent très tard  le soir.

 

Au matin du deuxième jour, nous prenons vraiment la route, enfourchant nos vélos avec joie !

Nous allons dès lors pédaler pendant deux semaines, franchir trois frontières, Samuel et Simon vont retrouver l’Europe et ses passages de frontières aisées, sans formalités administratives, sans visa, la monnaie Euro qu’ils n’avaient pas revus depuis la Turquie.

Nous allons passer de routes très défoncées, avec des trous immenses (Simon a même fait une chute spectaculaire en Russie, sans gravité…) à un réseau mieux entretenu, mais avec encore beaucoup de pistes en terre. Heureusement, Maps.me est toujours là pour nous guider, même dans les endroits les plus improbables !

Nous allons connaître des soleils qui ne se couchent que très tard et se lève à 4h00 du matin, mais ne parviennent pas pour autant à nous réchauffer.

Nous allons passer progressivement de forêts de bouleaux et de pins à des chênes et des érables. Nous allons voir le printemps arriver, les bougeons de lilas et de muguet s’ouvrir en quelques jours et nous enivrer de leurs parfums.

Nous allons subir le vent de face et la pluie, mais nous régaler de couchers de soleil à 22h00, de levers à 4h00.

Nous allons encore être accueillis merveilleusement bien par Aldys et sa famille, Monta qui nous laisse son appartement à Riga pendant deux jours, Anna et Lukas.

Nous allons trouver des bivouacs de rêve, au bord de rivière ou de lac. Parfois même, dans les pays baltes, avec la possibilité de dormir au chaud dans une cabane où l’on peut faire du feu, avec des toilettes sèches et des tables et bancs à disposition pour qui veut s’arrêter une nuit.

Nous allons nous laver sous une cascade ou dans un lac… ou ne pas nous laver et attendre le prochain Warmshower !

Nous allons cuisiner sur la braise, faire du pain, nous régaler de poissons fumés achetés au marché.

Nous allons admirer la Baltique.

Nous allons nous faire de menus plaisirs qui semblent d’énormes cadeaux après avoir roulé plusieurs dizaines de kilomètres : un café sur une terrasse ensoleillée de Riga, un carré de chocolat, une barquette de fraises, une sieste au soleil.

Nous allons dormir d’un sommeil de plomb après des journées de 100 Kms, et nous réveiller le lendemain avec l’envie de repartir.

Je vais m’étonner de la vitalité de mes fils sur leurs vélos, de l’immensité du monde, de la précarité de l’abri d’une petite tente, du soin apporté à préparer les repas, gage de notre capacité à repartir le lendemain.

 

 

 

Finalement, je les quitte après trois semaines. Je repars en avion de Vilnius. Ils mettent le cap plein ouest,… mais leurs aventures vont continuer. Après l’aéroport Charles de Gaule, je prends le bus de nuit pour rentrer à Quimper. La radio m’empoisonne les oreilles. il n’y a pas de thé, cela ne sent pas le chou, le concombre et l’ail… Les bus Macron n’ont décidément pas le même charme que les trains russes.

Philippe

 

2 réflexions sur “De l’immense Sibérie aux trois pays baltes. Récit d’un candide émerveillé.

  1. Bravo Philippe j’ai jamais autant lu de ta propre main,si tu étais toujours en vacance en Russie ça serait ennuyeux ,le quotidien a aussi son charme,bisous a toi et à tes garçons.

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  2. C’est chic de te lire cher beauf’. Quelle plume !, détaillée et efficace, c’est bien agréable de découvrir tes sensations face à l’immensité du monde et de la générosité humaine. Bravo à tous les 3. Les neveux, j’ai hate de vous retrouver. Bisou
    Agnès

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